Alors que Microsoft fait beaucoup parler de lui avec son score de productivité (et se défend d’être un outil de surveillance après de premières réactions dubitatives), le thème de la surveillance des employés est plus que jamais sous les projecteurs. Si le télétravail peine cependant à se généraliser dans notre pays où la culture du présentéisme semble régner malgré les conditions que l’on connaît, la crise pousse à l’adoption d’outils de surveillance. Si cette dernière est également pratiquée en présentiel, on peut estimer que certains employeurs ont voulu apaiser certaines inquiétudes, justifiées ou non, quant à la capacité de leurs effectifs à travailler à distance.
Ces craintes ne viendraient-elles pas plutôt d’un manque de confiance entre employeurs et employés, alors que de nombreux logiciels permettent aux salariés de réaliser leurs tâches comme s’ils se trouvaient au bureau ? Les outils de surveillance instaurés en raison du télétravail et leurs fins sont-ils toujours pertinents ? La productivité est-elle réellement une question de chiffres ? Et comment peut-on alors impulser une “productivité saine” sans que cela ne devienne un gros mot ?
Dans la première partie de notre étude, nous donnions une définition ainsi qu’un aperçu des divers procédés de surveillance existants, ainsi que le point de vue des salariés interrogés.
Pour ce second article, GetApp a interrogé 269 managers et membres de la direction de PME françaises afin de recueillir leurs opinions, objectifs et intentions d’investissement dans de telles technologies. Tous sont à la tête ou travaillent au sein d’une entreprise qui utilise des outils de surveillance. Vous retrouverez la méthodologie détaillée en fin d’article.
Les outils de surveillance connaissent une hausse d’investissement
Au sein des entreprises interrogées, les investissements dans des logiciels de surveillance des employés sont à la hausse depuis le début de la crise de COVID-19. Les budgets initiaux ont été revus de 50 % à 100 % à la hausse pour 32 % des répondants, et de 1 à 50 % à la hausse pour 29 % des répondants. 17 % affirment même investir un budget au moins 100 % supérieur à ce qui était prévu avant la crise.
22 % des répondants n’ont pas appliqué de changement ou ont revu cet investissement à la baisse.
Pour 48 % des répondants, l’investissement peut monter jusqu’à 100 € par mois pour tous les utilisateurs. Ces données illustrent un intérêt des entreprises à investir dans cette famille d’outils et les intégrer dans l’organisation de l’entreprise.
À savoir s’ils prolongeront cet investissement dans la surveillance des salariés, le marché des logiciels de surveillance (toutes catégories confondues) pourrait bien profiter de cet élan :
Du point de vue des supérieurs hiérarchiques interrogés, la surveillance des employés est jugée comme particulièrement bénéfique à l’entreprise dans son ensemble :
Contrairement aux employés interrogés (profils intermédiaires et postes juniors), qui sont plus partagés sur la question et témoignent d’une certaine indécision, la surveillance des salariés est perçue par les employeurs et managers comme une mesure “plutôt positive” (pour 42 % d’entre eux) voire “très positive” (42 % également).
Les répondants indécis le sont peut-être par manque de recul si l’adoption est récente. Un tel fossé dans les réponses pourrait s’expliquer à la fois par un manque de confiance de la part des employeurs et/ou un manque d’explications quant aux raisons de la surveillance mise en place.
Nous vous avons à l’œil
Cette surveillance peut prendre plusieurs formes et couvrir un ou plusieurs aspects, souvent inhérents à une activité, du moins lorsque leur mise en place a suivi une étude des besoins réels de l’entreprise.
Les raisons de la mise en place d’une surveillance varient : une entreprise gérant des données sensibles voudra s’assurer de leur bonne manipulation. Dans le cas d’une équipe de vente, les employeurs voudront savoir si les objectifs sont atteints en temps et en heure, et si non, pourquoi. Les chefs de projets s’assureront que toutes les parties prenantes sont synchronisées. Un service de livraison aura recours au suivi GPS des véhicules.
S’ils ont été moins plébiscités, ces aspects n’en sont pas moins importants et méritent d’être considérés comme avantages à la surveillance :
- 14 % affirment qu’ils peuvent être plus facilement au courant de situations de harcèlement, de discrimination et autres conflits.
- 14 % disent que la surveillance contribue à la sécurité de l’entreprise (vol interne de données, fraude, visite de sites répréhensibles ou à risque…).
- 9 % estiment qu’ils peuvent repérer des problèmes de communication ou d’organisation au sein d’une équipe.
Les outils agrégeant des données de productivité peuvent parfois brouiller les frontières entre suivi de l’efficacité et le contrôle excessif, lequel a tendance à s’avérer contre productif. Elles peuvent aussi créer des réticences, voire du rejet de la part des employés, d’autant plus si les raisons de la surveillance ne sont pas explicitées, ou pire, ne sont pas justifiées.
Surveillance n’est pas nécessairement synonyme de productivité
Utiliser la surveillance avec la conviction que cela améliorera automatiquement la productivité des salariés, c’est faire fausse route. Il est même probable que l’on arrive plutôt ainsi à créer une ambiance de travail toxique, sans même mentionner les échos qui pourraient ressortir publiquement sur des pratiques peu reluisantes. La productivité est un concept difficile à mesurer et doit être évaluée au cas par cas.
L’outil proposé par Microsoft semble se limiter à une compilation de données, dans le but de produire un tableau et de calculer ce fameux score de productivité sur une échelle de 800 points. Comme l’explique Antoine Jeuffin dans cette parution sur France Inter, la productivité ne peut pas être mesurée par le simple fait de quantifier des actions courantes, telles que le nombre d’e-mails envoyés ou le temps passé sur un document.
Pour cette question sur la productivité, les répondants ont été divisés en deux catégories, ceux dont l’entreprise utilise des outils de surveillance et ceux dont l’entreprise n’en utilise pas :
- Parmi les répondants non surveillés, 72 % se déclarent “plutôt” à “très productifs” dans leur travail.
- Parmi les répondants surveillés, 81 % s’estiment “plutôt” à “très productifs”.
- 86 % des télétravailleurs non surveillés se disent “aussi productifs” ou “plus productifs” chez eux qu’au bureau et 92 % des télétravailleurs surveillés affirment de même.
Une majorité écrasante de répondants se sentent productifs dans leur travail, qui plus est en télétravail. La proportion de travailleurs “surveillés” à se sentir productifs est toutefois supérieure : la surveillance ferait-elle quand même son petit effet ? Mais cette productivité est-elle réellement efficace au quotidien, ou s’estime-t-on “productif” car l’on a passé plus d’heures à son poste ?
Dans cet article sur la surveillance des employés publié sur Welcome to the Jungle, média dédié au développement professionnel, l’auteur du billet affirme à juste titre que “Si un employé est surveillé, il sera forcé d’appliquer la méthode de travail qui lui a été transmise. Mais toute procédure peut être améliorée, et laisser de la liberté à ses collaborateurs permet justement de les rendre plus créatifs et donc plus productifs, en les autorisant indirectement à développer l’organisation et la méthodologie qui leur conviennent le mieux.”
Plus que de la simple analyse de chiffres, la répartition des tâches et l’impulsion de la confiance/responsabilisation pourraient contribuer à favoriser le télétravail pour lequel les entreprises françaises semblent si réticentes, ou du moins encourager un mode de travail hybride.
De leur côté, les outils de collaboration peuvent rapidement être détournés de leur fonction première et mener, si l’on n’y prend pas garde, à juger d’actions isolées, d’où l’importance d’inclure d’autres indicateurs afin d’évaluer une performance .
La surveillance, levier de la reconnaissance des employés
Bien souvent, le simple fait d’accorder explicitement sa confiance à un salarié est déjà le responsabiliser et le rendre autonome. Certaines entreprises autorisent même les congés illimités et les abus sont rares.
Il s’agirait alors de ne pas simplement scruter les horaires de connexion ou le temps passé sur telle ou telle application, mais de comprendre comment ces heures sont exploitées. Le management au résultat, tendance venue d’Outre-Atlantique, par exemple, ne s’appuie pas tant sur le présentéisme que sur le fait d’atteindre des objectifs concrets.
61 % ont déjà pris des mesures positives envers des employés
Cela peut surprendre, mais la surveillance peut se révéler un moteur d’action et générer des mesures positives :
En outre, seuls 21 % des surveillants admettent avoir pris des mesures “négatives” suite à l’utilisation d’outils de surveillance. Mesures qui en réalité peuvent s’avérer bénéfiques et aider à préserver l’intégrité de l’entreprise et/ou celle des collaborateurs.
Alors, votre patron vous surveille-t-il pour votre bien ?
Certaines situations ont pu conduire à une adoption hâtive alors qu’elle devrait au contraire s’inscrire dans une démarche réfléchie.
Pour inspirer à leurs collaborateurs et obtenir d’eux la meilleure productivité possible dans un contexte donné, les dirigeants et managers se doivent d’appuyer leur décision de surveillance sur des objectifs concrets et les communiquer en toute transparence, sans oublier de prendre en compte les situations personnelles et, bien sûr, les recommandations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) auprès de qui l’employeur doit déclarer les moyens de surveillance mis en œuvre. Une fois ce cadre établi, la surveillance peut cesser d’être un contrôle excessif et infantilisant et devenir un moyen de synchroniser les intérêts à la fois du collaborateur et ceux de l’entreprise.
Méthodologie
Pour recueillir ces données, GetApp a interrogé un total de 1 418 professionnels. Selon leurs réponses, ceux-ci ont été répartis en plusieurs groupes de répondants, et soumis à des questions adaptées à leur situation : 1 309 employés (postes intermédiaires et surveillés) et 269 profils seniors et de direction (“surveillants/surveillés” ou “surveillants”). Le nombre de répondants peut ainsi varier d’une question à l’autre, selon la logique du sondage. Celui-ci a été mené du 13 au 17 novembre 2020. Les répondants devaient être âgés de plus de 18 ans, résider en France, et leur situation professionnelle devait être active. Ils sont travailleurs à temps plein (83 %) ou à temps partiel (17 %), issus de divers secteurs d’activité et font du travail présentiel ou du télétravail.